Début Juillet, j’ai été l’invité privilégié de l’office du tourisme et de la ville de Colmar pour découvrir un patrimoine culturel extraordinaire d’Alsace : La bibliothèque patrimoniale des Dominicains de Colmar.
Accueilli par un adjoint au Maire et par le conservateur des fonds patrimoniaux, j’ai très vite compris que cette visite allait être très intéressante et la suite ne m’a pas laissé tout à fait indemne.
J’ai été le dernier visiteur public à pouvoir découvrir ce lieu car un grand projet vient de démarrer pour transformer la bibliothèque en un centre européen du livre et de l’illustration qui ouvrira ses portes en 2019 sous le nom : « Les Dominicains de Colmar – Histoire du livre et de l’image ». J’en ai bien sûr profité pour demander une nouvelle visite en 2019, ce qui m’a été accordé avec le sourire. Et oui, chez les Blogueurs Voyage on est curieux, c’est comme ça 😉
La visite a donc démarré sans passer par la case « bibliothèque publique » mais directement par l’atelier de reliure avec un détour obligé (et très agréable) par le magnifique cloître. Il faut préciser que la bibliothèque se situe à l’intérieur de l’un des plus vieux couvents de Colmar et que son cloître abrite certains concerts du festival off de Colmar durant la saison estivale.
Juste devant l’atelier de reliure, j’ai pu apercevoir quelques outils et livres factices « en morceaux » derrière des vitrines, mais ce n’est qu’en ressortant que j’ai compris les détails de ces différents objets.
Dans l’atelier, j’ai rencontré l’équipe qui, à demeure, s’occupe de restaurer les livres et les estampes soigneusement conservés à la bibliothèque.
De manière simple et très humble, on m’a alors expliqué la façon dont sont « fabriqués » les livres et les manuscrits depuis plusieurs siècles. J’ai également appris qu’une restauration se devait d’être « visible et réversible ». Visible pour ne tromper personne et réversible pour qu’à tout moment, les relieurs puissent revenir en arrière si jamais des pièces du puzzle étaient retrouvées ultérieurement. Oui, un puzzle, car les livres anciens sont composés de plusieurs parties elles-mêmes composées de plusieurs matériaux. Du papier, du cuir, du bois, de la ficelle ou des nerfs, sans oublier les fermoirs en métal… Un véritable artisanat qui se perpétue et s’enseigne dans cet atelier de Colmar au milieu de vieilles presses, de stocks de cuirs et de papiers.
Un travail passionnant, artistique et très délicat exécuté de main de maître.
« Dans le projet qui ouvrira ses portes en 2019, c’est tout le parcours du livre qui sera montré au public. L’atelier de reliure en fera partie intégrante. »
C’est également dans cet atelier que sont restaurés les estampes et les « graphiques » conservés à la bibliothèque.
Des métiers d’art pour lesquels j’éprouve un très grand respect. Ces artisans « soignent » les traces de notre histoire ne l’oublions pas !
Comme je vous le disais plus haut dans l’article, repasser devant les vitrines après quelques explications m’a permis de mieux « imprimer » ce que je venais d’apprendre.
Après l’atelier de reliure, direction les estampes. J’ai utilisé le terme plus haut mais je voulais attendre ce stade de l’article pour vous dire ce que sont les estampes. Il s’agit d' »images sur feuilles » d’après la définition du conservateur. Et là encore, la bibliothèque de Colmar dispose d’un fond très important et très ancien.
Imaginez plutôt : la bibliothèque de Colmar dispose actuellement de 420 000 documents de toutes natures dont 120 000 graphiques, estampes, gravures sur bois et cuivre, lithographies et photographies.
C’est ici que j’ai pu découvrir le plus vieux document graphique conservé par la bibliothèque et qui date de la seconde moitié du XVe siècle. Une carte de voeux dont les couleurs et la qualité laissent à penser qu’elle a été imprimée seulement quelques jours auparavant. Celle-ci avait été retrouvée par hasard entre les pages d’un vieux livre. Certainement avait-elle été utilisée comme marque page à l’époque.
J’ai eu la chance de découvrir une série de photographies prises par le sculpteur Auguste Bartholdi durant un voyage en Egypte au cours duquel il aurait été émerveillé par la grandeur des statues et se serait mis en tête de réaliser des oeuvres gigantesques. (Le Lion de Belfort et la Statue de la Liberté en sont encore les témoins aujourd’hui).
Toujours dans l’atelier des estampes, une charmante dame passionnée et tout aussi humble m’a fait découvrir ces reliques du passé en m’apprenant que pour conserver ce patrimoine graphique inestimable, une règle d’or devait être appliquée : Pour trois mois d’exposition, une estampe ou un livre ancien doivent ensuite passer trois ans dans l’obscurité la plus totale.
Et quand je vous parle d’exposition, je ne vous explique même pas les contraintes de luminosité, de température et d’hygrométrie à respecter…
Dans le projet de centre Européen qui ouvrira en 2019, l’atelier des estampes sera très présent et de nombreux documents seront présentés au public.
Pour la petite anecdote, après avoir appris la règle des « trois mois exposés / trois ans dans l’obscurité totale », j’ai presque supplié le conservateur de ranger ce patrimoine au plus vite car j’avais vraiment mal au coeur et je ne souhaitais pas que des estampes soient abîmées par ma faute. Après un sourire de leur part, l’équipe de la bibliothèque m’a expliqué que bien heureusement, les protections adéquates avaient été prises pour cette visite et que le rayon de soleil de cette belle fin d’après-midi n’allait pas altérer les documents. Autant vous dire que lorsqu’on découvre ce patrimoine et sa valeur historique, le respect s’impose de lui-même !
Après l’atelier des estampes, direction les réserves où se trouvent les incunables et les livres anciens.
N’étant (de loin) pas un spécialiste, on m’a expliqué que les incunables étaient les premiers livres imprimés entre 1455 et 1500. La bibliothèque de Colmar dispose du deuxième plus grand fond d’incunables de France.
A travers les méandres des rayonnages, (10 km au total…) le conservateur m’explique que pour eux, ce qui est important, c’est non seulement de conserver, mais également de transmettre. Pour ça, le futur centre européen du livre et de l’illustration sera adapté pour la recherche. (Pour les amateurs et pour les professionnels). « Ce patrimoine appartient à tout le monde, et tout le monde doit pouvoir y avoir accès ». Un petit atelier de numérisation sera également au programme pour 2019.
A mon arrivée au cœur de la réserve de livres anciens, mes oreilles se sont comme fermées et je me suis automatiquement dirigé vers des étagères où trônaient comme des seigneurs, de magnifiques livres patinés par les siècles. Blanchis et brillants pour certains, craquelés et restaurés pour d’autres. Hors de question de toucher de tels objets historiques, mais quelle ambiance et quelle odeur dans cette salle spectaculaire. Une richesse patrimoniale, historique et culturelle inestimable. J’avais déjà pu voir quelques livres anciens mais je n’avais jamais imaginé voir s’ouvrir devant mes yeux un manuscrit datant du VIIIe siècle.
Issu d’une collection initiale de 300 manuscrits de l’abbaye de Murbach, il n’en reste aujourd’hui que cinq à la bibliothèque de Colmar et quelques autres en Allemagne et en Grande Bretagne.
Je n’ai plus réussi à prendre de notes à partir de ce moment-là tellement je ne voulais pas perdre une miette du spectacle qui s’offrait à moi.
Un traité d’astronomie du XVIe siècle nous a permis de découvrir le savoir-faire des relieurs de l’époque. Et même si toutes ces bases de calculs astronomiques datant d’avant Copernic sont aujourd’hui complètement fausses, voir se chevaucher jusqu’à six cercles en papier sur une page, reliés avec des fils de soie et formant des sortes d’abaques a été un spectacle superbe. Sans parler des couleurs, encore vives comme si ces imprimés dataient d’hier. Il s’agissait tout de même de l’un des plus beaux livres du XVIe siècle !
Colmar dispose aujourd’hui d’une collection de livres anciens incroyable. La plus ancienne d’Alsace suite à l’incendie de la collection de la bibliothèque de Strasbourg en août 1870.
Quelques 1200 manuscrits sont aujourd’hui précieusement conservés à Colmar dont un quart de l’époque médiévale.
En échangeant à propos de la conservation et surtout des risques d’incendies (car « c’est la peur de tout bibliothécaire dans le monde »), le conservateur m’a expliqué que le pire n’était pas les flammes, mais l’eau… celle que les pompiers font couler à flots pour éteindre les incendies. Les livres sont comme des blocs et ils résistent relativement longtemps au feu. Par contre, l’eau va provoquer des moisissures qui détruisent irréversiblement les documents. Donc le premier geste de conservation d’un livre ayant pris l’eau, c’est de le mettre dans un congélateur. Oui, plutôt rigolo quand on y pense… mais cela permet d’avoir le temps de reprendre les livres un par un sans risquer de voir la moisissure s’installer.
Des découvertes à venir :
Dans le cadre du projet de 2019, tous les livres de la bibliothèque vont être déménagés. Il y a donc de fortes chances que des découvertes très intéressantes soient faites à ce moment-là. Un petit morceau de l’une des bibles de Gutenberg a bien été retrouvé il y a quelques années… alors rêvons un peu 😉
A la fin de la visite, lorsque le conservateur nous a ouvert la porte, nous étions les dernières personnes à franchir le seuil de la bibliothèque avant 2019. Tout un symbole pour les quelques chanceux que nous étions.
Je peux vous garantir que j’ai vraiment eu un privilège énorme de voir de telles choses (livres et graphiques). Notre patrimoine impose le plus grand respect.
Je tiens encore à remercier l’office de tourisme et la ville de Colmar et la ville de Colmar pour l’accueil, mais aussi et surtout, toutes les personnes que j’ai croisées à la bibliothèque : le conservateur, le relieur et l’atelier des estampes. Ils ont réussi à communiquer leur passion durant toute la visite, en se mettant humblement à mon petit niveau pour que je puisse comprendre leur métier, leur art. Tout ça avec la plus grande gentillesse.
Le rendez-vous est donc pris en 2019 pour un nouvel article car le musée « Les Dominicains de Colmar – Une histoire du livre et de l’image » vaudra vraiment le détour ! Colmar disposera alors d’un nouveau site historique et touristique de premier plan à l’échelle nationale. Vivement cette date !
Pour découvrir ce très beau projet, rendez-vous sur le site officiel : http://dominicains.colmar.fr
N’hésitez pas à voir toutes les photos en cliquant sur l’onglet « Photos » de cet article.
Publié par Mathieu
Vous aimerez également
